Outil gratuit – Cinq ans depuis l’enquête sur les Femmes et les filles autochtones disparues et assassinées (ENFFADA)

L’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées (ENFFADA) a déposé son rapport final en juin 2019, après deux ans de consultation publiques, d’analyse judiciaire et de collaborations avec les Aîné.es et gardien.nes du savoir. Au cours de cette période, ce sont 1484 témoignages qui ont été entendus, par les survivantes de violence, leurs proches et des personnes expertes sur le sujet (Radio-Canada, 2024), et ce sont 2386 personnes qui ont participé au processus de consignation de la vérité (ENFFADA, s.d). Cinq ans plus tard, qu’en est-il des révélations de l’enquête ? Que pouvons-nous faire comme Allié.e ?

MANDAT & INTERSECTIONNALITÉ

Le mandat de la Commission d’enquête était de « produire un rapport sur les causes systémiques de toutes les formes de violence contre les femmes et les filles autochtones, y compris la violence sexuelle, ce qui comprend les agressions sexuelles, la violence faite aux enfants, la violence familiale, l’intimidation et le harcèlement, le suicide et les comportements autodestructeurs. Les pratiques policières, les services d’aide à l’enfance, le traitement reçu dans les hôpitaux ou les prisons, l’exclusion du leadership politique, la discrimination systémique dans la loi et l’expérience quotidienne du racisme et du sexisme sont également visés par le mandat de l’Enquête » (ENFFADA, 2018: 3). Ainsi, le mandat de l’enquête a été beaucoup plus large que les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, bien que ce soit le titre de l’enquête. En effet, l’enquête s’est aussi penchée sur « toutes les formes de violence », incluant aussi « les femmes et les filles qui sont décédées dans des circonstances suspectes et nous pencher sur des questions comme les agressions sexuelles, la violence faite aux enfants, la violence familiale, l’intimidation, le harcèlement, le suicide et les actes autodestructeurs. Ces violences sont interreliées et peuvent avoir des effets tout aussi dévastateurs » (ENFFADA a, s.d.).

« La vision de la Commission d’enquête consiste à établir des fondations qui permettent aux femmes et aux filles autochtones de retrouver le pouvoir et la place qui leur reviennent. Afin de concrétiser cette vision, la Commission d’enquête a une mission en trois volets : découvrir la vérité, honorer la vérité et donner vie à la vérité. Voilà notre chemin vers la guérison. » (ENFFADA, 2018: 2)

Dans les Amériques, les femmes autochtones sont plus pauvres, plus analphabètes et sont celles qui ont le plus de risques de décéder en donnant naissance en comparaison aux femmes allochtones (Léger, 2014). Les femmes autochtones vivent deux principales formes de discrimination : l’une reliée à leur genre et l’autre à leur position d’autochtone. En étant femmes et Autochtones, elles souffrent de discrimination intersectorielle (Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, 2022). Le concept d’intersectionnalité est important à considérer lorsqu’il est question de comprendre les enjeux des formes de violence que vivent les femmes autochtones. Le concept renvoie à

« une théorie transdisciplinaire visant à appréhender la complexité des identités et des inégalités sociales par une approche intégrée. Elle réfute le cloisonnement et la hiérarchisation des grands axes de la différenciation sociale que sont les catégories des sexe/genre, classe, race, ethnicité […] et postule leur interaction dans la production et la reproduction des inégalités sociales.» [Notre traduction ] (Bilge, 2009: 70)

L’intersectionnalité prend donc en compte divers facteurs en établissant des corrélations entre ceux-ci : « [l]es féministes autochtones attirent l’attention sur les enjeux de la colonisation, du racisme et du sexisme, et sur la fâcheuse synergie entre ces trois violations des droits de la personne » [Notre traduction ] (Green 2007 : 20). Bien que les hommes et les femmes autochtones soient victimes de violence, celle-ci n’a pas le même impact, puisque « les enjeux relatifs au colonialisme, au genre et à la race ne peuvent être dissociés » (Smith 2005 : 8). Les études féministes autochtones font donc des liens entre plusieurs domaines de recherches, notamment ceux des études postcoloniales, de l’étude de genre, du racisme, du patriarcat et du militantisme autochtone (Perreault, 2015 : 34). C’est donc dire que le cadre de recherche du féminisme autochtone dépasse celui de la domination raciale et sexuelle, puisqu’il inclut le colonialisme et la place que prennent les femmes et les femmes autochtones à l’intérieur de celui-ci (Perreault, 2015 : 39).

CONSÉQUENCES DE LA COLONISATION

L’Enquête a produit plusieurs conclusions dans son rapport final. Une de ces conclusions est le fait que la violence vécue par les peuples autochtones, dont celle vécue par les femmes et les filles autochtones, « trouve sa source dans la colonisation. Pour que cesse la violence contre les femmes et les filles autochtones, la relation coloniale permanente qui la facilite doit elle aussi se terminer » (ENFFADA, 2018 :1). En effet, les femmes et les filles autochtones ont des « droits constitutionnels, des droits issus de traités et des droits de la personne qui sont bafoués encore aujourd’hui. » (ENFFADA, 2018 :3)

L’angle du genre est important à aborder, parce que « bien que les hommes et les garçons autochtones aient énormément souffert de la colonisation, notamment en raison des aspects liés aux terres et à la gouvernance, elle a eu des répercussions distinctes, bien que liées, sur les femmes, les filles et les personnes 2ELGBTQQIA autochtones. » (ENFFADA, 2019: 248). Le rapport final met de l’avant les mots de l’universitaire Kwagiulth (Kwakwaka’wakw) Sarah Hunt, qui explique que :

« Le colonialisme repose sur la déshumanisation de l’ensemble des Autochtones – enfants, personnes bispirituelles, hommes et femmes. Par conséquent, nous pouvons considérer que nous subissons tous la violence coloniale, car notre humanité même nous est niée. Pourtant, cette déshumanisation est plus cruellement ressentie chez les filles, les femmes, les personnes bispirituelles et les personnes transgenres puisque la violence physique et sexuelle perpétrée contre nous est toujours considérée comme normale ». (ENFFADA, 2019: 248).

En lien avec le thème, nous vous invitons à écouter cette chanson (MMIWG2S) par Soleil Launière:

Dans la même optique, Shaun L. (membre de la famille d’une victime et survivante) dont le témoignage a été entendu par l’ENFFADA, explique que :

« Après 500 ans, ces idées [coloniales] n’ont pas tellement changé. Les femmes et les filles des Premières Nations sont traitées comme si elles étaient remplaçables. Elles ne le sont pas. Elles donnent la vie, racontent des histoires, sont les gardiennes de l’histoire, les prophètes et les matriarches. […] Les conséquences du colonialisme sont comme une retombée de guerre nucléaire, un hiver sans lumière. » Shaun L. (Kaska Dena, Clan du corbeau), Partie 1, Volume public 3, Whitehorse, YT, p. 5. » (ENFFADA, 2019: 342).

IMPACTS DU RAPPORT

Le rapport de l’ENFFDA a inspiré le même genre de recherche et le même genre d’attention médiatique aux États-Unis (Paroles autochtones, 2024). Cependant, comme le souligne Melissa Mollen Dupuis, l’humanisation des femmes autochtones est un travail qui doit continuer de se faire pour que les statistiques qui planent autour des femmes autochtones actuellement ne soient pas les mêmes pour les générations à venir (Paroles autochtones, 2024). En effet, selon Karine Duhamel (qui a œuvré aux travaux de l’ENFFDA comme directrice de recherche), « il y a beaucoup d’éducation à faire auprès du public et des fonctionnaires afin non seulement de mieux valoriser les expériences des survivantes et des membres de la famille mais aussi de percevoir les femmes et les filles autochtones comme des personnes sacrées » (Filiatrault, 2024). Melissa Mollen Dupuis note la même chose : lorsque le Canada refuse de mener des enquêtes pour retrouver des femmes et des filles autochtones disparues, cela indique à ces femmes et à leur famille qu’elles sont moins importantes que d’autres citoyen.nes canadien.nes (Paroles autochtones, 2024).

Le rapport « contient 231 appels à la justice distincts s’adressant aux gouvernements, aux institutions, aux fournisseurs de services sociaux, à l’industrie, et à l’ensemble des Canadiens et Canadiennes » (Rapport final, 2019). En effet, le rapport final donne des indications claires de ce qu’il est possible de faire – et de ce qui doit être fait – comme Canadiens et Canadiennes. Les appels à l’action qui concernent le grand public spécifiquement sont recensés aux pages 224 et 225 du rapport final (volume b), et sont écrits comme suit :

 

  • « Dénoncer la violence faite aux femmes, aux filles et aux personnes 2ELGBTQQIA autochtones »
  • « Lutter contre le racisme, le sexisme, l’ignorance, l’homophobie et la transphobie. Inviter les autres à faire de même et leur enseigner comment, que ce soit à la maison, au travail ou dans un contexte social »
    • Suggestion UTAPI : s’autoformer sur les enjeux afin d’être plus solide dans son argumentaire. Cela favorise ainsi la confiance en ses connaissances afin de répliquer lorsque nous sommes témoins de racisme / violence.
  • « Participer au processus de décolonisation en apprenant la véritable histoire du Canada de même que l’histoire des Autochtones dans leur région spécifique. Découvrir et célébrer l’histoire, les cultures, la fierté et la diversité des peuples autochtones; reconnaître la terre sur laquelle on vit et son importance historique et actuelle pour les communautés autochtones locales »
  • « Perfectionner ses connaissances et lire le rapport final. Écouter les vérités racontées et reconnaître le fardeau de la violation des droits de la personne et des droits des Autochtones, ainsi que ses répercussions actuelles sur les femmes, les filles et les personnes 2ELGBTQQIA autochtones »
    • Suggestion UTAPI : prendre connaissance de la campagne « J’initie le changement. Et vous ? »
      • Résumé : « Cette campagne s’inscrit dans notre cadre de référence et contribue à promouvoir et à faire progresser la réconciliation, tout en sensibilisant le public. Son objectif est d’aider l’ensemble de la population canadienne à mieux comprendre la tragédie des femmes et des filles autochtones disparues et assassinées et les conséquences qui en découlent  »

  • « Mettre à profit ses nouvelles connaissances, utiliser quelques-unes des ressources suggérées, et devenir un allié solide. En plus de faire preuve de tolérance, un allié précieux œuvre activement à faire tomber les barrières et à soutenir les autres dans toutes ses relations et à chaque rencontre à laquelle il participe »
  • « Assurer, favoriser et promouvoir la sécurité des femmes, des filles et des personnes en reconnaissant et en respectant la valeur de chaque personne et de chaque communauté, ainsi que le droit des femmes, des filles et des personnes 2ELGBTQQIA autochtones à l’autodétermination de leurs propres solutions »
  • « Consacrer du temps et faire de la place aux relations fondées sur le respect des êtres humains, respecter et accueillir les différences avec gentillesse, amour et respect. Découvrir les principes autochtones qui définissent les relations propres aux Nations ou aux communautés dans lesquelles on vit ou travaille, et les appliquer dans toutes ses relations avec les Autochtones »
  • « Participer en exigeant de tous les gouvernements qu’ils répondent aux appels à la justice et les mettent en œuvre, conformément aux principes fondamentaux que nous avons établis »
    • Suggestion UTAPI : la violence envers les femmes et les filles autochtones est un enjeu social, mais c’est aussi un enjeu politique qui nécessite des prises de positions politiques. Élevez votre voix ! Faites entendre votre mécontentement !

Concrètement, ces appels à l’action sont accessibles à toustes. Plusieurs recommandations (que ce soit dans le rapport de l’ENFFADA ou de la CVR) concernent plus précisément les gouvernements ou les institutions, mais celles-ci, énumérées dans le rapport de l’ENFFADA, concernent spécifiquement les Canadiens et Canadiennes. Elles représentent un pas vers la réconciliation et le rapprochement entre les peuples. Pour plus de détails concernant le rôle d’allié et de pistes de réflexion concernant le rôle d’allié pour les causes autochtones, nous vous invitons à consulter la page suivante : Démystifions le rôle d’Allié.e


Statistiques
  • «La violence à l’égard des peuples autochtones reflète l’histoire traumatisante et destructrice de la colonisation qui a touché, et continue de toucher, les familles et les communautés autochtones de même que l’ensemble de la société canadienne. » (Heindinger, 2022).
  • « Les résultats de l’ESEPP [Enquête sur la sécurité dans les espaces publics et privés] révèlent que plus de 6 femmes autochtones sur 10 (63 %) ont subi des agressions physiques ou sexuelles au cours de leur vie. » (Heindinger, 2022).
  • «Près de 6 femmes autochtones sur 10 (56 %) ont été victimes d’agression physique, tandis que près de la moitié (46 %) des femmes autochtones ont été victimes d’agression sexuelle. En comparaison, environ le tiers des femmes non autochtones ont été victimes d’agression physique (34 %) ou d’agression sexuelle (33 %) au cours de leur vie.» (Heindinger, 2022).
  • Six fois plus de femmes autochtones sont victimes de féminicides. Au niveau des accusations, les femmes autochtones verront leur meurtre plus souvent reconnu comme un meurtre au deuxième degré ou involontaire, alors que les femmes allochtones qui décèdent d’un féminicide verront plus souvent leur meurtre reconnu comme un meurtre au premier degré (Paroles autochtones, 2024).
  • «Être née femme et autochtone sur-augmenterait de 15% le risque de mourir assassinée ou de subir un crime violent » (Paroles autochtones, 2024).
Testez vos connaissances (anonymement) !

Références du texte :  

  1. ENFFADA, 2018. Résumé du rapport d’étape.
  2. ENFFADA, s.d. Notre mandat, notre vision, notre mission.
  3. ENFFADA, 2019. Réclamer notre pouvoir et notre place, Rapport 1a.
  4. ENFFADA, 2019, Rapport final : page web.
  5. ENFFADA, 2018, Résumé du rapport d’étape : nos femmes et nos filles sont sacrées.
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